Place de Lorient, Belle-Île, immédiatement au sud de la pointe de Kerdonis. Quand on est sur place, que l’on regarde la plage, on est surpris de l’intérêt tout relatif porté par Vauban à ce site possible pour un débarquement. L’intéressé le justifie de la sorte : "À chaloupes très mauvais, la mer y étant presque toujours agitée, l’entrée nette, les bords ferrés et élevés de même que la côte qui est très fâcheuse. Il y a deux échouages, le premier de 18 toises de large et le deuxième de 50 ; l’un et l’autre de sable fort plat, où la mer déplie furieusement en sorte qu’il est rare de trouver un temps propre à y entrer. (…)". Force nous fut de constater que ce 3 avril 2012, date de notre visite sur place, à l’instar d’un certain matin quelques 251 ans auparavant, fut donc un de ces rares jours propices à un débarquement. Ses directives de palissader la plage au niveau de la laisse de haute mer et d’établir une batterie de trois pièces au sud de la plage ont été rapidement suivies d’effet. Une avancée rocheuse, désignée alors "presqu’île de Bludel", se prêtait à ce dessein. Un plan d’un nommé Detaille, de 1780, nous en est parvenu. Il s’agissait d’une batterie en forme de fer à cheval, avec fossé dérocté à la gorge, un petit corps de garde et magasin à poudre sur la gauche en entrant et quatre embrasures évasées dans le parapet pour les pièces d’artillerie. De ces quatre embrasures, une était orientée vers l’est, une au sud-est et deux au sud ! Aucune ne pouvait avoir d’action sur la plage. Cette mission était confiée à un retranchement garni de nombreux créneaux, de surface à peu près similaire à celle de la batterie et accolé à la face nord de cette dernière. Les fortifications de la pointe de Kerdonis n’existant pas encore, les Anglais tentèrent donc de débarquer ici le 8 avril 1761. Heureusement, il existe un retranchement, "construit en 1759 et il barre la vallée morte près de la redoute." Chacun interprétera cette phrase, laquelle nous a valu –et nous vaut encore- quelques interrogations. Le rôle précis des fortifications reste peu connu mais on sait que la batterie résista et qu’avec l’aide des "détachements des forts circonvoisins", les Anglais furent repoussés : "Outre les bateaux plats coulés à fond, il y eut des centaines d’hommes tués ou noyés (et) 360 prisonniers". On le sait, l’Anglais débarqua avec succès un peu plus au nord, le 22 du même mois. Après l’occupation, la batterie connaît quelques améliorations et travaux jusque vers 1780. Elle est ensuite réarmée dès 1792, puis régulièrement armée, entretenue et gardée par une quinzaine d’hommes. La Commission de 1841 juge le site comme étant de première importance et souhaite y voir une tour n° 2, armée de deux obusiers et huit fusils de rempart, avec trente hommes d’infanterie et dix canonniers. Élevée en 1861, elle sera la seule tour modèle 1846 de Belle-Île. Pour les besoins de son implantation, le rocher fut excavé et le terrain taluté pour que seule la terrasse commande la plage ; ses faces sud-ouest et sud-est sont entièrement défilées par le rocher. Les déroctages furent tels que la lecture des anciennes installations est devenue très compliquée. Près de son saillant III, une coupure dans la falaise a été obturée d’un mur maçonné avec passage en tunnel pour le flot. Devant la gorge, côté plage, un mur percé de larges embrasures (désormais obturées) garni de constructions allemandes de la seconde guerre mondiale, est aussi percé d’un passage en tunnel laissant la marée pousser ses eaux jusque dans le périmètre de la batterie à marée haute. Les embrasures, anciennes et plus récentes, battaient toutes la plage perpendiculairement au retranchement de fond de baie. Une des casemates allemandes, il convient de le souligner, a comme blindage frontal, coulé dans le béton, un bouclier de canon G de 95 mm modèle 1888. Toujours devant la gorge, les mêmes Allemands ont bétonné deux petites soutes à munitions. Ils avaient codé leurs installations ici Wn I 318. La tour est particulièrement jolie. Les créneaux verticaux de sa plate-forme sont tronconiques. Côté mer, une passerelle permet désormais de gagner via un pont-levis un terre-plein avec petit parapet. Cette passerelle existait-elle lors de la période opérationnelle de l’édifice ? Quoi qu’il en soit, chaque centre des trois autres côtés de cette plate-forme crénelée comporte une embrasure pour petite pièce d’artillerie. Singulièrement, le fronton de l’entrée affiche clairement, gravé dans le linteau de la porte : "Poste de Port-Andro". Sur plusieurs de ses faces, les locaux du sous-sol alternent une petite ouverture verticale et une horizontale. Lors de notre passage sur place, le pont-levis de l’entrée était relevé aussi ne sommes-nous pas en mesure d’indiquer si les contrepoids présents sont ceux d’origine ou non. La tour est peinte en blanc (04/2012) à l’exception de ses chaînes d’angle et contours de baies dont les pierres contrastent superbement avec le reste des murailles. Entre le 13 juin et le 11 juillet 1874 on proposera au déclassement pas moins de 22 vieilles batteries sur Belle-Île, dont celle de Port An Dro. Ce déclassement sera entériné définitivement en 1889. Le poste fut vendu, pour 2 000 F (mise à prix 1 700 F) par les Domaines le 11 septembre 1891 à M. Emile Cazalet (le même qui achetât le Poste du Port-Maria), qui le revendit le 13 décembre 1893 à Me Martial-Achille Dieuaide, notaire de son état, et transformé en résidence secondaire. Force est de constater que l’actuel propriétaire prend grand soin de son bien qui nous est apparu comme un des plus beaux édifices de l’île. La tour a été inscrite à l’Inventaire supplémentaire des Monuments Historiques le 30 octobre 2000. Le poste ou la batterie ont été trouvés sous les appellations "Port André", "Port Saint-André", "Port-an-Dro", "Port d’Andro". Propriété privée non visitable.